A paraître

Six questions à Lorenzo Soccavo

CE 08 FÉVRIER BOZON2X ÉD. LANCENT UNE COLLECTION « ESSAI » DÉDIÉE À LA LITTÉRATURE
AVEC TERRES DE FICTION  DE LORENZO SOCCAVO

Chercheur en littérature, passionné par l’immersion fictionnelle, les travaux de Lorenzo Soccavo portent actuellement sur le concept original de Fictionaute (ce que nous projetons de nous dans le monde de la fiction et de ses personnages quand nous lisons un roman) et le sentiment de « traversée du miroir » par les lectrices et lecteurs de fictions littéraires.
Rencontre, de l’autre côté du miroir, avec un essayiste des plus singuliers. 

Peux-tu nous dire l’origine de ta passion pour la littérature et ses mondes imaginaires ?

Lorenzo Soccavo : Je peux essayer oui… Je préciserais d’abord que pour moi c’est de langage et de fuite qu’il s’agit, de lecture et de territoires. Pour moi, la littérature est, dans les faits, un laboratoire pour éprouver l’au-delà des mots. J’ai toujours eu un rapport difficile avec le langage, notamment enfant, et en même temps je jouais beaucoup. Par le jeu, j’accédais en imagination à d’autres territoires que ceux qui étaient présents et refermés sur eux, la chambre et le jardin, et où j’échappais à la toxicité du cercle familial réduit. Un jour, une journaliste a écrit que je m’étais réfugié dans la lecture parce que j’avais eu une enfance malheureuse. C’est caricatural. Je ne suis pas une victime. Avec cet essai, c’est un grand jeu auto-fictionnel qui commence pour moi. Un jeu dans lequel je cesse enfin d’être une marionnette. C’est-à-dire un petit Mario. Mario était le prénom de mon père. Il ne m’a jamais ni élevé, ni aimé, mais surtout derrière ce marionnettiste que je craignais, il y avait toujours la vraie manipulatrice : la genitrix, qui tirait aussi les fils du marionnettiste. Ce n’est pas le lieu d’en parler mais, étant un enfant de remplacement, j’ai été très et trop tôt confronté aux mystères de la mort, engagé dans la recherche que je poursuis aujourd’hui encore. Je cherche par la lecture, dans la manifestation du langage qu’est la littérature, à approcher le passage tout en restant vivant. Il y a, je crois, une fonction psychopompe de la lecture de fictions. Cela dit, il me faudrait relire le roman de François Mauriac qui a justement pour titre : Genitrix.

Te souviens-tu de la raison ou des circonstances qui ont vu émerger, chez toi, le concept de « fictionaute » ?

L.S. : C’est fou mais non. J’ai l’impression que c’est venu naturellement, ou plutôt que cela a toujours été une évidence pour moi. Le petit garçon solitaire qui, avec un petit fusil en plastique, joue au cow-boy dans un jardin de banlieue, se projette tout entier dans le western qu’il a vu la veille à la télévision. C’était le cas. Depuis Voyage au centre de la Terre de Jules Verne, lu enfant, j’étais fictionaute comme monsieur Jourdain était prosateur sans le savoir.

Qu’entends-tu, au juste, par « Terres de fiction » ?

L.S. : Une Terre promise. Un monde moins cruel, un « pays où coulent le lait et le miel » comme il est dit dans l’Ancien Testament. Mais pour moi sans référence particulière à Israël. Dans nos sociétés contemporaines les mondes des fictions figurent tous génériquement une Terre promise je crois. Bien sûr, il y a des dystopies mais, à la fin, le héros s’en sort toujours plus ou moins. Le pluriel c’est juste pour signifier que dans l’élocution, même silencieuse de la lecture, les mondes fictionnels dans lesquels nous nous absentons de celui réel dans lequel nous lisons, expriment tous en quelque sorte une nostalgie de la Terre promise. D’où le sous-titre : De quel côté du miroir sommes-nous ? Sous-entendu quand nous lisons…

As-tu jamais pensé à écrire une série de nouvelles, un roman, bref une œuvre de fiction ?

L.S. : Si bien sûr. Je m’y suis essayé dans ma jeunesse. Le théâtre notamment. Mais je dois reconnaître que je n’ai pas de talent pour raconter des histoires. Je cherche à dire le vrai, mais mon problème est que, finalement, on ne peut dire que des histoires. Il faut dire aussi que, généralement, il n’y a pas d’entraide, de compréhension, d’hospitalité. Dans son roman Mendiants et orgueilleux Albert Cossery fait dire à son personnage principal : « La vérité, monsieur l’officier, est que tu t’étonnes facilement. La vie, la vraie vie, est d’une simplicité enfantine. Il n’y a pas de mystère. Il y a seulement des salauds. ». C’est vrai. Les salauds, pour moi, sont ceux qui d’autorité se considèrent au-dessus des autres, et je peux dire que depuis la cour de récréation de maternelle, j’en ai croisés beaucoup. Cet essai n’est pas seulement le début d’un grand jeu tragique, c’est aussi une ruse : j’arrive par la cheminée comme le Père Noël alors que l’on m’avait toujours fermé portes et fenêtres au nez. Je dis comme le Père Noël parce que mon objectif est aussi d’aider celles et ceux qui, comme moi, se confrontent sans cesse au langage et aux salauds.

Quel est ton regard sur la littérature actuelle et francophone en particulier ?

L.S. : Je ne veux pas porter de jugements. Mes lectures s’enchaînent spontanément par une sorte de sororité entre elles ou par sérendipité, mais aucunement en suivant l’actualité littéraire. Par ailleurs, je ressens indiscutablement une attirance bien plus marquée pour la littérature du dix-neuvième jusqu’à disons la première moitié du vingtième siècle. Par exemple comme aventure littéraire du récent été 2023 j’ai lu la tétralogie de Thomas Mann, les quatre volumes de Joseph et ses frères, reprenant l’histoire de Jacob et de ses fils telle qu’elle nous est contée dans l’Ancien Testament mais avec l’effervescence de l’imaginaire que permet la fictionnalisation littéraire. Cela dit, parmi les auteurs vivants, j’apprécie Pascal Quignard, surtout pour la nostalgie que je garde de ses romans passés comme Le Salon du Wurtemberg, Les Escaliers de Chambord, puis bien sûr Tous les matins du monde. Je pense aussi à Pierre Michon. J’ai toujours lu avec plaisir Richard Millet, Hédi Kaddour… Pour citer une femme, et ne pas injustement être étiqueté je ne sais quoi, je dirais un mot sur Sylvie Germain. La lecture de son roman Jours de colère fut un vrai bonheur pour moi. Je l’ai découvert suite aux insultes à son encontre par des lycéens en France en juin 2022 et j’espère que cet incident lui aura apporté beaucoup de lectrices et de lecteurs !

Quels sont tes projets d’écriture après publication de Terres de fiction ?

L.S. : Cet essai est aussi pour moi une forme d’autofiction, s’il trouve son lectorat et a un certain retentissement deux autres devraient, en tout cas, pourraient suivre. En vérité, dans mon esprit, c’est une trilogie qui est prévue. Le deuxième, déjà amorcé, devrait traiter du grand sabbat dans lequel le langage nous entraîne. Il pourrait avoir comme sous-titre : Les mots nous veulent-ils du mal ? Il ne s’agira plus comme dans ce premier de chercher à nommer ce qui séparerait la réalité de la fiction, mais d’aborder les expériences de pensée qui pourraient nous permettre d’aller et de venir en toute conscience de l’une à l’autre. Le troisième, si je l’écris un jour, ira plus loin encore en moi pour déchirer le voile, il traitera de la malédiction de l’enfance comme annonciatrice d’une bénédiction, car il s’agit toujours bien de cela d’abord : de pouvoir dire ou de devoir se taire, de bien dire ou de mal dire, d’être bien ou mal nommé. Il pourrait avoir comme sous-titre L’a-mèzon, ainsi orthographié avec le a privatif mais un trait d’union… C’est la maison d’enfance et donc… Donc, en fin de compte, l’annonce d’une possible bénédiction à venir avec, je l’espère pour moi, pour terme à l’heure de ma mort, le Salut de mon âme. Cela ne plaira pas à tout le monde, le Salut de mon âme, mais tant pis.


Terres de fiction
Lorenzo Soccavo
142 pages
Format : 14 x 19 cm
ISBN : 978-2-931067-19-2
16 euros
À paraître le 08/02/2024

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